Martin Heidegger
Finir cela ne signifie pas nécessairement “s’achever”. La question devient plus pressante: d’une façon générale, en quel sens la mort doit-elle être conçue comme fin de la réalité humaine?
Finir veut dire d’abord cesser et cela suivant un sens qui comporte certaines différences ontologiques. La pluie cesse. Elle n’a plus la réalité d’une chose donnée. Le chemin cesse. Mais cette fin ne signifie pas que le chemin s’évanouisse; la cessation le détermine précisément comme le chemin que voici présentement donné. “Finir” en tant que cesser peut donc signifier: passer à l’état d’une chose irréelle, ou bien au contraire, avoir uniquement, grâce à cette fin, la réalité d’une chose-donnée. En ce dernier sens “finir” peut encore, soit déterminer une chose donnée mais qui n’est pas prête - par exemple la route qui encore en construction s’interrompt - soit constituer pour une chose-donnée “le fait d’être prête”: avec le dernier coup de pinceau, par exemple, le tableau est prêt (…) De même encore finir au sens de “s’évanouir” peut se modifier selon le mode d’être de l’existant La pluie est finie, c'est-à-dire évanouie. Le pain est fini, c'est-à-dire consommé; ce n’est plus un ustensile dont on puisse disposer. Ce n’est par aucune de ces manières de finir que l’on peut adéquatement caractériser la mort en tant que fin de la réalité humaine. Si l’on comprenait le fait de mourir en tant qu’être-à-la-fin, au sens de l’une quelconque des manières de finir examinées plus haut, on poserait alors la réalité humaine comme simple réalité-de-chose-donnée ou comme réalité-ustensile. Dans la mort, la réalité humaine n’est pas achevée, ni simplement évanouie, ni moins encore définitivement apprêtée ou complètement disponible comme un ustensile. Ou plutôt, de même qu’aussi longtemps qu’elle est, la réalité humaine est en permanence son Pas-encore, de même également elle est , dès toujours, sa fin. Cette fin que l’on désigne par la mort ne signifie pas, pour la réalité humaine, être-à-la-fin, “être finie”; elle désigne un être pour la fin qui est l’être de cet existant. La mort est une manière d’être que la réalité humaine assume dès qu’elle est. “Dès qu’un humain vient à la vie, déjà il est assez vieux pour mourir”.